La poésie en prose est une gourmandise qui se passe de recette, toutefois, on lui reconnait toujours un certain fondant.
Halloween et Baudelaire. D’aucuns ont peur de la mort et de ses visions, des froids cimetières, des grands fantômes de draps blancs qui vont en silence, des sorcières aux ongles taillés, aux crânes dépouillés, et des caveaux sordides où les vers festoient sur les cadavres puants. D’aucuns ont peur de ces majestueux monstres marins qui habitent les gouffres amers, ceux qui de leurs tentacules difformes broient les puissants vaisseaux et hantent le sommeil des équipages exténués, ceux qui parcourent inlassablement la profondeur des océans, ayant pour seule maison les vestiges somnolant de cités englouties. D’aucuns encore, sont terrifiés par tout ce que la Terre a de tendre à offrir ; forêts fourmillantes, baies rouges, escargots, palais dorés et chaumières, grottes bleutées, viandes juteuses, champs de blés et récoltes plantureuses, aventures irrégulières, chemins de traverse, grands défilés et liqueurs odorantes, tout les effraie. D’autres, enfin, craignent l’amour, quand il est puissant et qu’il prend au cœur, l’amour éclatant, qui rallume les étoiles et humilie la raison. Quant à moi, je dois bien l’avouer, je ne redoute pas ces douces atrocités, qui bercent mes moments de gaieté et colorent mes nuits de divertissantes histoires. Oui, depuis quelques jours, je ne crains plus ces pompeux mirages qui me terrifièrent jadis, et qui se fardent de couleurs trop criardes à mon goût. J’ai désormais une peur bien plus tenace, puisque je crains la jeune sorcière qui habite en bas de chez moi. Certes je ne crains pas les élixirs jaunes et violacés qu’elle confectionne patiemment le soir, la lune pour seul projecteur, et ne fait pas grand cas non plus des incantations sordides qui remontent parfois de ma cheminée. Je suis presque attendri par les petites brioches aux myrtilles, saturées d’arsenic, que je trouve parfois au pas de ma porte les jours de fêtes, et les gémissements des colombes offertes en sacrifice apaisent mon sommeil et emplissent ma chambre d’une chaleur réconfortante. Tout cela mes chers amis, je m’y suis habitué, peut-être même attaché, et la source de mes cauchemars ne s’y trouve pas. Enfin, plongeons dans l’horreur. Je suis terrifié, affolé, épouvanté par les mains de ma sorcière. Des mains légères et multicolores, parées de bijoux lugubres, témoins d’alliances secrètes et défendues, des mains débordantes de grâce et de contrôle, des mains de fée comme je pensais ne jamais en revoir et qui, quand elles frôlent ma peau pour y dessiner des formes aux caractères insondables, éveillent en moi de doux souvenirs enfouis. Quand ces doigts maudits courent sur mon bras pour y tracer de belles aquarelles, c'est tout en moi qui tressaille. Je m’accroche alors fermement à cette main qui devient mon seul guide, tâtonnant dans les couloirs, trébuchant dans les escaliers sombres, toute confiance donnée à ma nouvelle Ariane. Je deviens ce damné sans lampe qui, amoureux de son bourreau, marche rieur vers son propre jugement, et je ne pense plus qu’à ces doigts en fleurs, qu’à ces mains de fée qui furent mon extase et mon châtiment, ces doigts de sorcière qui mènent aux Paradis artificiels.
Lisbonne 2023. Une foule, une foule immense autour de moi, qui m’enveloppe comme le sable enveloppe la seiche peureuse. Et dans le ciel bleu, s’élèvent ces drapeaux, ces milliers de drapeaux, verts et jaunes, rouges et bleus et blancs, roses, pourpres ou mauves, noirauds et opalescents, beiges parfois, blancs souvent, découpés au centre, sur les côtés aussi, et ces milliers de drapeaux se regardent, fiers, sûrs de leurs droits, porteurs de tant d’histoires, de tant d’héros et de méchants hommes, de tant de grandeur et de misère, chaque drapeau comme le témoin des siècles qui le façonnèrent, goguenard, valeureux et fragile, prêt à engloutir et à être englouti, comme le soldat effronté qui décide d’en défier des milliers d’autres, comme le voleur acculé qui décide pour la première fois de se retourner et d’affronter le vacarme de ses fautes et ainsi, le silence tombant presque sur le jardin en fleurs, ayant pour seul ami le glougloutement pervers de la fontaine adjacente, j’assistais à la confrontation la plus majestueuse et la plus violente qui me fut donner de voir, petite seiche peureuse perdue au milieu de la foule.
Dans les rues de Paris.
Et le policier furieux, remonte la rue, interroge.
– Mais enfin, on ne disparaît pas comme ça, où est-il le truand, le vaurien, l’âne sans tête, qu’on me le retrouve ce garçon-là.
Comme de coutume, j’étais la cible de ces grossières injures, ce qui, à vrai dire ne me fît pas grand effet, et tout à fait enivré j’observais la scène du coin opposé, depuis lequel j’attendais le moment opportun pour filer. Ou du moins c’est ce qu’on dût penser les deux vieilles bourriques qui me dénoncèrent, et c’est d’ailleurs le témoignage qu’elles donnèrent ensuite. A tort, puisqu’en réalité mon regard était perdu dans les nuages blancs, blancs et mauves, comme l’est parfois celui des étudiants qui, entre deux leçons, laissent vagabonder leur esprit librement, jusqu’à concevoir une multitude de mondes étranges et lointains, sorte d’évadée poétique née de l’ennui et de la lassitude, comparable à ses roses au caractère rebelle, bien décidées à éclore au milieu des ronces et du fumier. Le policier, maintenant arrivé à mon niveau, tenta de me sortir de ma torpeur, sans succès. Il vociférait de sa voix rauque, m’invectivant de décliner mon identité et de rendre compte des événements qui venaient de se dérouler. Il devint vite rouge, rouge de colère et de chaleur, il devint volcanique, mais cela, je n’en savais rien, puisqu’en réalité mon regard était perdu dans les nuages blancs et mauves, qui avaient maintenant viré au rose et qui semblaient m’envoyer des sourires complices depuis leur petit coin de ciel. Ce méchant homme finit par me saisir au col, ce qui eut le mauvais goût de me sortir de ma transe, et, comme réveillé brusquement après un sommeil profond, je lui répliquais sans attendre ce que les nuages m’avaient glissé à l’oreille, conscients de la situation et toujours enclin à aider les adolescents en situation délicate.
– Monsieur, vous êtes bien mal tombé, et vous pourrez me traîner devant vos juges et vos magistrats, une chose est sûre, et le ciel me croit, je ne rendrai jamais le baiser volé !
Même sous l’orage.
J’aimerais que tout cela soit plus simple. Que l’on puisse vivre, briller, brûler, sans personne autour, sans rien pour nous arrêter, sans barrière et sans volet, sans toutes ces choses du passé qui nous dévorent, sans la peur, sans la pluie, sans les tempêtes, ou alors, des tempêtes, des tempêtes majestueuses, formidables, qui font décoller les maisons et exploser les tourbillons, des tempêtes comme des révoltes, comme des barricades, tant que mes yeux restent dans les tiens, tant qu’on garde ce précieux trésor, qui nous sera ravi un jour, par le temps, ou bien par la mort, ou bien par ma bêtise ou la tienne je ne sais pas, ce trésor sans pareil, que les dieux nous jalousent, et qu’il me coûte de ternir par ces mots misérables ; nos rires joyeux au milieu des bulles de savon.
Juste une
Écrire une phrase simple, sans équivoque, qui s’énonce et puis se note. Une phrase qui ne saurait être débattue, retournée, une phrase qui s’impose, mais qui n’a pas trop tourné. Une de celles que personne ne déboutonne, une phrase qu’on laisse longtemps flotter, pour apprécier sa retombée. Une phrase qui s’interdit aux grands discours. On n’est ni contre, ni pour, on savoure. Bref, une phrase de vérité.
La science est une croyance.
A l’origine des mathématiques, il y a les axiomes ; des règles admises, indiscutables, car elles semblent intuitivement correctes. De ces axiomes, alliés aux objets mathématiques qui les entourent, découlent les propriétés, les théorèmes, des plus simples aux plus sophistiqués. En géométrie euclidienne, l’un des axiomes énonce par exemple que la droite est le chemin le plus court entre deux points. Qui pour soutenir le contraire ?
Ces axiomes sont les fondements de l’édifice scientifique. La physique et l’astronomie, d’essence mathématique, se prêtent au jeu. De manière générale, tous les champs de la connaissance scientifique admettent, ou plutôt, croient en quelque chose, un socle stable sur lequel fonder le reste. “Les lois physiques qui régissent l’Univers sont restées les mêmes depuis sa création”. Affirmation des plus évidentes… l’est-elle vraiment ? En cela, la science est comparable aux autres croyances, religieuses en particulier.
Toutefois, il y a quelque chose d’ennuyant à assimiler science et foi . Ces deux croyances ne semblent pas tout à fait avoir la même valeur. Alors, où se trouve la différence ? Pourquoi l’humanité s’accorde-t-elle à donner sa confiance aux objets scientifiques, et non à l’hostie consacrée ?
La science est une croyance efficace. Ces axiomes, nés de la logique intuitive, ont permis de construire des modèles qui rendent compte du réel ; des modèles fiables. Illustrons ; la thermodynamique est un modèle qui décrit entre autres la température d’ébullition de l’eau en fonction de la pression. Ce modèle donne des résultats satisfaisants à chaque essai, ce modèle passe de croyance à vérité scientifique. Une vérité scientifique se définit donc comme une croyance efficace, c’est-à-dire une croyance qui décrit si bien le réel qu’elle a pris valeur de vérité dans l’esprit commun. Certains oublient qu’elle reste toutefois mobile, changeante dans le temps, car en réalité le modèle est toujours imparfait. On est vite tenté d’oublier que c’est une croyance ; que ce n’est pas une vérité immuable.
A la fin du XIXè siècle. Nos physiciens, avec la physique newtonienne, pensaient être arrivés à un modèle unifié, interprète fidèle du réel. Le grand jeu était terminé, les équations, unifiées. Ou presque… car quelques problèmes subsistaient quant à la description des corps noirs. 20 ans après, la physique classique avait volé en éclats, et se retrouvait morcelée entre le relatif et le quantique, l’infiniment grand et l’infiniment petit. La croyance efficace fut remplacée par une autre, plus efficace encore.
Les hommes croient en la science. Pourquoi ne croient-ils pas en Dieu ? Car la science leur a donné les avions, et que les avions volent. Toujours. La science soigne, la science voit dans le passé, la science agrandit l’homme. Et la foi, que fait-elle ?
Certains faits, ou indices comme nous les appellerons, laissent à penser que la foi agit sur l’homme, efficacement. Ces indices sont subtiles, disséminés. Dans le sensationnel, ce sont les miracles, les guérisons subites, relatés à travers les siècles sous différentes formes. Dans le plus discret, le plus convaincant peut être, ce sont le destin d’hommes et de femmes qui changent du tout au tout. La vie des saints semble militer dans le sens d’un effet concret ; les témoignages de transcendance, les manifestations de l’invisible que certains rapportent, comme quelque chose de palpable et senti, abondent dans ce sens. Pour quelqu’un qui entre vierge de tout préjugé dans ce monde, ces indices doivent former un appel, une ouverture à l’exploration, un test à l’efficacité. Car la réponse que trouve l’homme au bout de cette aventure déterminera nécessairement sa trajectoire : fils de l’Homme ou fils de Dieu.
Chaque homme se doit alors de faire un pas vers la religion, la foi, la spiritualité, et d’essayer lui-même son efficacité. S’il entreprend une démarche sincère pendant un temps et que rien ne change, que le monde reste le même pour et autour de lui, alors il pourra se défaire de cette croyance, et cela sera juste. S’il sent au contraire une modification véritable, il devra qualifier la foi de croyance efficace dans un registre similaire à celui de la science.
La comparaison atteint ses limites, car il est certain que l’efficacité de la foi n’a pas la même valeur que celle de la science, dans le sens où, par définition, elle ne se plie pas à la volonté de l’homme et reste fugace, indiscernable. Par exemple, on ne peut répéter une même “expérience spirituelle” et s’attendre à observer toujours le même résultat. ( Ce point reste discutable, car certaines personnes ayant consacré beaucoup de temps à la croyance religieuse, la spiritualité, se disent dotés de capacité utilisable concrètement et à volonté: divination, bilocation etc. ). Une fois l’efficacité posée, le changement décelé, se poseront les questions de l’origine de cette efficacité : Dieu, effet placébo, processus neuronaux encore inconnus… Il reviendra à chacun de faire la part des choses, mais l’Homme qui est venu au terme de cette première entreprise peut déjà se flatter d’avoir compris la ressemblance de nature entre science et foi et d’avoir peser, en toute justice, les deux domaines sur la même balance.
" Connaissez vous les dernières théories ? Que c’est troublant ! Certains disent que les trous noirs mènent aux trous blancs. "
Le vendredi 23 novembre dernier, j’étais dans le métro. Je rentrais juste de Lausanne par une froide soirée d’hiver. Ma mère, ma sœur et mon beau-père m’attendaient dans la chaleur de notre appartement de l’ouest parisien pour une soirée sushis. Vers Tuileries, un homme d’une trentaine d’années est monté dans le wagon rempli, il boitait de la jambe gauche, il était sale, il était épuisé ; c’était un sans-abris. Ce soir-là je n’avais pas d’euros, ce qui me rassurait un peu car je me sentais de fait moins coupable. L’homme a commencé à mendier, passant entre les hommes et femmes de maintenant, à vrai dire, se trainant entre les téléphones et pas un regard, pas un sourire, pas une main ne se levèrent vers lui. Cet homme était à bout de force, sa voix n’était plus qu’un tremblement, chaque pas le rapprochait du fond ; entouré de centaines, de milliers d’autres hommes et de femmes, il agonisait dans une profonde solitude. SDF de la ville lumière ; où donc était la lumière ?
A Champs-Elysées-Clémenceau nous sommes descendus ensemble à la recherche d’un distributeur. Lui et moi, sous les étoiles et dans le froid, mais avec un peu de chaleur dans le cœur. Il s’appelait Damien, il était père d’une petite fille de 5 ans. Quand il en avait 16, sa mère et son père étaient morts dans un accident de voiture et il s’était retrouvé seul, seul au monde, sans argent et sans famille. Alors il avait vagabondé quelques années, était descendu en Espagne, avait fait un an de prison pour des histoires dont il ne me parlait pas. Enfin il trouva un peu de bonheur quand il rencontra celle qui deviendrait sa femme et la mère de sa fille. Cela ne devait pas durer. Au moment de la pandémie, il perdit son emploi. Lui et sa femme, qui le quitta peu après, se retrouvèrent à la rue, et sa fille fut placée dans une famille d’accueil. Tout s’écroulait, encore une fois. Depuis, c’était les ténèbres autour de lui, il marchait dans le noir.
Nous nous revîmes quelques fois ; il me racontait la vie dans la rue, la violence, le vol, la drogue, le sexe. Quelques jours avant notre rencontre, une dame très chic lui avait donné 50 euros avec peu de discrétion ; trois jeunes qui avaient suivi la scène étaient venus réclamer le billet, puis l’avaient planté dans la jambe. Ça c’était le mardi. Mercredi on lui vola son sac avec ses habits d’hiver. Il lui restait une veste et un gros pull et il n’allait plus à l’Église depuis que les paroissiens l’avaient chassé. Un matin de février, révolté par toutes ces histoires, je lui demandai :
– Mais Damien, et toi comment fais-tu pour rester droit, pour ne pas voler, pour ne pas tuer, pour ne pas violer. Le sort s’acharne, la société te laisse, les croyants te rejettent. Tu ne dois de compte à personne, si la justice existe, alors que le monde brûle pour tout le mal qu’il te fait.
– Si je perds ma dignité, alors vraiment je n’aurais plus rien. Me répondit-il calmement, naturellement.
Que sais-je des ténèbres ? Presque rien, mais depuis ce jour je sais que dans les eaux troubles se cachent des hommes et des femmes extraordinaires, véritables héros de notre temps. Je sais que dans les trous noirs se cachent des trous blancs.
D’elles et de moi.
Je n’écris pas ce recueil seul, je suis toujours accompagné. Lorsque j’écris, je suis inspiré, guidé par une main invisible. Je reçois de je ne sais où des idées, des mots, de la poésie concentrée, qui se diluent en moi et font courir mes doigts. Les muses me chuchotent à l’oreille, et je recopie ce que j’attrape au vol.
Alors où suis-je dans cette création ? Je pose ma singularité au moment de coucher cette énergie lumineuse, sombre parfois, quand je choisis un mot plutôt qu’un autre, une image plutôt qu’une autre. La beauté invisible du monde passe par le prisme de mon esprit, se trouve modelée, sculpté, colorée d’une certaine manière. C’est certainement cela, le style d’un artiste.
Tout cela est d’autant plus vrai que j’écris en vers libres et que je ne retravaille pas mes poèmes. Ils viennent quand cela leur chante, et si je ne les accueille pas, si je ne m’arrête pour leur accorder toute mon attention, ils repartent trouver un autre passeur, idées vagabondes.
Ce n’est donc pas mon art, mais plutôt l’art qui glisse entre mes doigts, qui coule par les sillons de mes expériences, de ma vie. Je ne suis qu’un passeur, un passeur d’or pour le cœur et l’esprit.
Ainsi vous comprenez mieux quand je dis que ce n’est pas moi qui écrit ce recueil, et pour autant ce ne sont pas tout à fait les muses qui sculptent les morceaux de beauté que je reçois dans mon esprit. Poèmes, d’elles et de moi.